Le camarade Mélenchon a sorti récemment un nouveau livre. Eh bien, j’ai décidé de ne pas vous en parler ! A la place, il m’a semblé plus intéressant de me pencher sur un de ses anciens ouvrages, sorti en 2007.
L’ouvrage est sorti quelques mois à peine après l’élection présidentielle de 2007. Mélenchon n’est alors encore qu’un humble sénateur PS, et un des représentants de la gauche du parti. Son but ? Expliquer les causes profondes de la défaite – et pas juste pointer des erreurs tactiques au cours de la campagne. Son raisonnement, c’est que le PS s’est aligné sur la même ligne politique centriste que ses confrères européens, dite Démocrate, et qu’il en subit les mêmes conséquences de rejet de l’électorat.
On trouve trois grands thèmes dans le livre, qui recoupent à peu près les quatre grandes parties en lesquelles il est divisé :
– L’échec de la ligne Démocrate. Mélenchon commence par dénoncer la rhétorique dominante à l’époque au PS : il fallait que le parti se « modernise », abandonne son programme socialiste et devienne un parti social-démocrate voire démocrate « réaliste » comme les autres. Comme réponse, Mélenchon fait un état des lieux des partis de centre-gauche en Europe, des réformes qu’ils ont menées et des résultats électoraux qu’ils ont obtenus. Pour lui, c’est un échec d’un bout à l’autre : non seulement ils ont tendance à précéder la droite en terme de libéralisation et d’austérité, mais leurs performances aux élections sont catastrophiques.
– L’origine de la ligne « démocrate ». Il cherche ensuite à savoir d’où vient justement cette ligne centriste. Citant les textes fondateurs de ces courants et les principaux dirigeants sociaux-démocrates, il la fait remonter aux années 80 et au mouvement des New Democrats menés par Bill Clinton à l’intérieur du Parti Démocrate américain, puis en retrace le passage à travers les partis européens (le Labour de Blair, le SPD de Schroeder et… le PS de Hollande). Il en analyse ensuite les principes directeurs, et souligne à quel point celle ci revendique ouvertement son « dépassement de la gauche » pour se rapprocher finalement de l’idéologie de droite.
– L’alternative envisageable. Pour Mélenchon, la disparition de la gauche n’est pas une fatalité, et il est non seulement souhaitable mais surtout possible de constituer un mouvement de gauche qui revienne à ses fondamentaux, les modernise et les organise de sorte à fonder un mouvement populaire qui remporterait les élections. On retrouve là le Mélenchon que l’on connaît depuis 2008… et en vérité, il présente dans cette dernière partie la stratégie qu’il a suivi à la lettre après avoir quitté le PS : alliance entre la gauche du PS, le PCF, la « gauche altermondialiste », les antiracistes, les féministes, les écologistes pour former une « autre gauche » populaire pro-européenne, inspirée de « Die Linke » et des partis de gauche latino-américains. Et bien sûr, la candidature de son auguste personne comme chef de file du mouvement en question.
J’ai beaucoup apprécié ce livre. Il est sous la forme d’un entretien, ce que je n’apprécie pas trop d’ordinaire, mais le sens de la formule de Mélenchon rend la lecture agréable. Davantage : il a des choses à dire, et l’analyse historique qu’il fait est sérieuse et instructive. Pour l’observateur contemporain de la gauche radicale, la dernière partie vaut son pesant d’or : le camarade Jean-Luc y écrit noir sur blanc ses intentions futures, et laisse à ce moment là transparaître – comme d’ailleurs tout au long du livre – ses limites et ses faiblesses, qu’il porte encore aujourd’hui. En premier lieu, qu’il est toujours dans son esprit un ex-trotskiste devenu dirigeant socialiste et rompu aux manoeuvres de Congrès. L’appel incantatoire à « battre la droite », mauvaise par essence, et à « sauver la gauche », bonne par nature, résonne certainement très bien devant une assemblée de militants PS, mais a peu d’écho en dehors. A aucun moment d’ailleurs dans le livre ne tente t-il de dire pourquoi la droitisation des partis sociaux-démocrates est une mauvaise chose : la gauche c’est bien et la droite c’est mal, circulez camarade. Qu’aurait-il donc à dire aux 53% des Français ayant votés pour Sarkozy quelques mois plus tôt ? Pensait-il les convaincre, ou pour lui « le peuple de gauche » est il un public suffisant ? Son deuxième défaut suit le premier : il est un très bon tacticien qui maîtrise les manœuvres d’appareils, et néglige tout le travail intellectuel et à proprement parler militant qui en ferait un bon stratège. Revenant sur les premières expériences d’une formation de « l’autre gauche » au cours des années 2000 (par exemple avec les « Comités antilibéraux »), il en tire la conclusion que ceux-ci ont échoués pour s’être trop penchés sur les questions théoriques, qui ont fait ressortir contradictions et désaccords entre les différents mouvements, provoquant des scissions. Pour Mélenchon, et il le formule à peu près ainsi, un mouvement de gauche radicale ne pourrait se former et obtenir des succès qu’en réunissant d’abord des gens de tous horizons et en les faisant ensuite s’entendre sur un programme minimum qui ne dérange personne. Les groupuscules ont la priorité sur les programmes… Et si cela vous rappelle le fonctionnement du Front de Gauche, c’est bien normal. Tout ce monde là étant « de gauche », pense Mélenchon, ils ne peuvent être que bons et leur programme efficace et juste, faisant le bonheur des travailleurs. Nul besoin de s’embêter avec une réflexion poussée : des mots d’ordre, de la volonté, un amoncellement de personnalités et de groupuscules, et les lendemains qui chantent frapperont à notre porte.
Bien plus que Qu’ils s’en aillent tous, En quête de gauche est une plongée dans la tête de Mélenchon, le meilleur texte que j’ai lu pour comprendre le personnage. Je le recommande pour ceux qu’il intéresse.
Cet article est originellement paru en août 2015 sur le forum du HS. Pour discuter de cet article, c’est ici : http://hachaisse.fr/viewtopic.php?f=2&t=84