Les dernières grandes campagnes électorales montrent à quel point les journalistes s’éloignent de leur devoir d’information pour y substituer un militantisme politique.
L’engagement politique des journalistes est aussi vieux que le journalisme et ne constitue en théorie pas un obstacle à leur travail. On attend d’un journaliste qu’il recherche puis présente des informations à son lectorat, et on lui est gré qu’il en propose une première analyse. Rares sont les analyses qui sont complètement neutres, puisque chaque individu perçoit le monde différemment, selon son idéologie et selon les informations dont il a connaissance.
Ce positionnement idéologique ne pose normalement pas de problème : les lecteurs connaissent plus ou moins l’orientation politique du journal qu’ils lisent, et sont capables de former eux-mêmes leur propre analyse des faits qui leur sont présentés, ou, à défaut, de ne pas être en accord avec l’analyse du journaliste. Personne ne reprochera à l’Humanité d’analyser des faits à la lumière des travaux de sociologues de gauche, et personne ne reprochera à Valeurs Actuelles d’analyser des faits sous un prisme idéologique droitier. Ce qui importe, c’est que le lecteur puisse prendre connaissance des faits. Il peut les analyser ensuite, soit par ses propres moyens, soit en s’aidant des propositions du journaliste.
La Charte de déontologie de Munich signée en 1971 constitue une des références autour desquelles doit s’organiser le travail des journalistes. Parmi les devoirs qu’elle impose à ceux-ci, nous pouvons retenir que le journaliste doit :
1) respecter la vérité, quelles qu’en puissent être les conséquences pour lui-même, et ce, en raison du droit que le public a de connaître ;
(…)
3) publier seulement les informations dont l’origine est connue ou les accompagner, si c’est nécessaire, des réserves qui s’imposent ; ne pas supprimer les informations essentielles et ne pas altérer les textes et les documents ;
(…)
6) rectifier toute information publiée qui se révèle inexacte ;
(…)
9) ne jamais confondre le métier de journaliste avec celui du publicitaire ou du propagandiste ; n’accepter aucune consigne, directe ou indirecte, des annonceurs ;
La présentation de la vérité, rappelle la charte, ne se confond pas avec le métier de propagandiste. Cette hiérarchie du traitement de l’actualité a été progressivement érodée au fil des ans. Les faits étaient toujours présentés, mais l’opinion des journalistes prenait de plus en plus de place. Dans certains journaux, les faits sont davantage devenus un prétexte pour présenter le commentaire d’un journaliste. Mais, au moins, si l’on pouvait lire au travers de la prose désagréable des journalistes de Le Monde ou du Nouvel Observateur, on pouvait plus ou moins s’informer en lisant la presse.
Ces dernières années nous ont donnés à voir l’effondrement complet de cette hiérarchie, dès lors que des évènements importants menaçaient les projets politiques auxquels adhèrent les journalistes. Le référendum grec concernant les politiques d’austérité puis le référendum britannique concernant la sortie ou le maintien du Royaume-Uni dans l’Union Européenne menaçaient tous deux la survie à terme de l’Union Européenne, le seul projet autour duquel se retrouvent presque tous les journalistes français. Sans même parler du comportement de la presse de ces pays, le lectorat français a pu assister à un militantisme farouche de la part de ceux censés l’informer, qui n’ont eu de cesse de propager les rumeurs les plus ridicules et les informations les plus erronées pour vilipender le camp auxquels ils étaient opposés. On se souvient des tribunes parues dans les différents journaux qualifiant les souverainistes voire le gouvernement grec de quasi-nazis. On se souvient de l’insistance des journalistes pour nous démontrer que les voteurs du « Leave » britannique regrettaient en fait leur choix et qu’un deuxième référendum serait désirable – alors que toutes les informations disponibles montraient que l’essentiel des votants avait compris et accepté le résultat et que les quelques idiots repérés par les médias ne représentaient qu’eux-mêmes. On se souvient des multiples articles prétendant que Nigel Farage avait annoncé qu’il ne tiendrait pas ses promesses de campagne – alors qu’il n’avait jamais effectué les promesses dont il était question. À toutes ces occasions, la presse française et étrangère a failli à son devoir élémentaire d’information. Elle a cessé de présenter des informations véridiques à propos desquels elle donnait son avis. À la place, elle a donné son opinion et inventé des faits pour la défendre.
Le même phénomène se produit aujourd’hui concernant la campagne présidentielle américaine. C’est un euphémisme que de dire que Donald Trump n’est pas aimé des médias alors qu’Hillary Clinton est leur favorite. Que des journaux prennent parti dans des tribunes ou des éditoriaux pour cette dernière plutôt que pour son adversaire serait acceptable. Mais la presse ne se limite pas à cela. Depuis le début de la campagne, et plus encore depuis la Convention du Parti démocrate, le travail d’information est mis de côté pour être remplacé par une piteuse parodie de journalisme et beaucoup de propagande. Une tribune d’un journaliste américain cite plusieurs éléments montrant à quel point l’objectivité est devenue secondaire pour ses confrères dans le traitement de la campagne :
Trump’s acceptance speech, for example, was covered on the front page with two stories: on the left a straight, albeit somewhat judgmental, account of the speech, and on the right a “fact check” that disputed every point made by the GOP nominee. Clinton’s speech was covered with three front page stories, with headlines describing her nomination as “historic,” “inspiring” and “trailblazing.” A relatively mild fact-checking piece was relegated to the back pages.
Trump said at a news conference that he hoped the Russians — who are accused of hacking the Democratic National Committee’s computers — would release the 30,000 emails previously erased by Clinton’s staff. The DNC went ballistic, claiming that Trump had asked the Russians to commit “espionage” against the United States. Aside from the fact that Trump was obviously joking, Clinton claims those emails, which were on her unauthorized server during her tenure as secretary of State, were about her yoga lessons and personal notes to her husband — so how would revealing them endanger “national security”? Yet the media reported this accusation uncritically. A New York Times piece by Maggie Haberman and Ashley Parker, ostensibly reporting Trump’s contention that he spoke in jest, nonetheless averred that “the Republican nominee basically urged Russia, an adversary, to conduct cyber-espionage against a former secretary of state.”
Since last summer, Politico has been vehemently anti-Trump, and it’s only getting more extreme. It’s run several stories linking Trump to Vladimir Putin: “Why Russia is Rejoicing Over Trump,” “GOP Gobsmacked by Trump’s Warm Embrace of Putin,” “Donald Trump Heaps More Praise on Vladimir Putin” — and dozens of similar articles. The gist of these pieces is that Trump’s stated desire to “get along with Putin,” and his comments on the costs imposed by our membership in NATO, mean that Trump is essentially an agent of a foreign power. A recent article by Katie Glueck on Trump’s hacking joke said that Trump “appeared to align himself with Russia over his Democratic opponent” — as if he were a kind of Manchurian candidate.
Of course, Politico is not alone in what was once called red-baiting. The Atlantic also weighed in with Jeffrey Goldberg’s “It’s Official: Hillary Clinton Is Running Against Vladimir Putin,” and a Franklin Foer story in Slate was headlined “The Real Winner of the RNC: Vladimir Putin.” This coverage smacks of the sort of McCarthyism that we haven’t seen in this country since the most frigid years of the Cold War.
Ces exemples pourraient être multipliés. Mis à part les accusations de trahison, accusations immensément graves et pourtant sans fondement, que portent les médias américains contre Trump, on pourrait citer les interrogations récurrentes sur sa santé mentale, les accusations sans preuve de sexisme, d’homophobie, de racisme voire de suprémacisme blanc. On pourra comparer en s’amusant les analyses suivantes, qui portent sur quelque chose d’à priori aussi peu important que les habits portés par Hillary Clinton et par Melania Trump lors des Conventions démocrates et républicaines :
Hillary Clinton s’habillant en blanc représente le mouvement féministe. En revanche, Melania Trump s’habillant en blanc indique subtilement l’idéologie raciste de son époux. Cette sorte de caricature ne constitue pas un évènement isolé. Il s’agit d’un acte de propagande, parmi d’innombrables autres, qui suit la même logique que le militantisme journalistique connu en Europe lors du référendum grec ou du référendum britannique.
Le piétinement par les journalistes de leur propre déontologie pose de nombreux problèmes. Le premier d’entre eux est que les citoyens ne peuvent plus leur faire confiance. Les médias jouent dans les sociétés démocratiques un rôle essentiel : ils diffusent l’information à partir desquelles les citoyens se forment leur opinion et votent ou agissent en conséquence. Si les journalistes renoncent à ce devoir et deviennent à la place de simples propagandistes, les citoyens se retrouvent sans source d’information valable. Lorsque l’on a constaté un décalage aussi important entre les faits présentés par les médias et les faits véritables, comment accorder aux médias quelque confiance que ce soit ? On pouvait se moquer de la propagande d’État en vigueur dans les états soviétiques, mais le principe est le même : nous avons, dans nos sociétés occidentales, des gens payés à diffuser de fausses informations pour faire avancer un projet politique et qui camouflent leur militantisme derrière leur carte de presse. La confiance accordée par les citoyens aux journalistes est déjà extrêmement faible : en France, les journalistes sont à peine jugés plus dignes de confiance que les politiciens. Un sondage YouGov indiquait que seuls 11% de l’électorat britannique accordait sa confiance aux journalistes concernant le Brexit. Une telle situation ne peut qu’éloigner de plus en plus les citoyens des médias établis et les pousser dans les bras de médias alternatifs – parfois très recommandables, parfois franchement complotistes.
La plus grande menace pour la démocratie n’est pas la quasi-unanimité des médias à propos des grands débats nationaux. Bien sûr, cette quasi-unanimité nuit elle-même au débat. Mais l’absence d’informations fiables et la méfiance qu’engendre la manipulation de l’actualité créent une atmosphère de méfiance beaucoup plus délétère. Elle rend vain le débat, soit parce que celui-ci se déroule autour d’informations erronées, soit parce que les citoyens en sont réduits à s’informer par eux-mêmes et trouvent chacun des informations à la véracité douteuse. La méfiance des citoyens vis-à-vis des médias est logique. Elle est probablement préférable à une acceptation naïve de ce que ceux-ci nous présentent. Mais elle ne peut, à terme, déboucher sur rien de bon. Il est donc de la plus haute importance pour nos sociétés démocratiques que les journalistes se rappellent à leur devoir et replacent la recherche de la vérité au centre de leur travail. Leurs commentaires ne sont que secondaires.