En dépit du procès et de résultats électoraux peu satisfaisants, l’Aube dorée continue de s’agiter. Dans quelle situation se trouve le parti nazi grec en janvier 2016 ?
Cela fait un moment que je ne vous ai pas fait un gros post à propos de la Grèce. La principale raison en est qu’il n y a pas eu grand chose de neuf à dire depuis septembre dernier : Tsipras a gagné sur une vague de déception, tous les partis de l’opposition ont été placés en stase politique et le gros de la population est retourné chez lui avec sa confiance dans l’avenir retombée à plat et sa volonté de combattre disparue.
Quatre mois plus tard, comme il était prévisible, tout se remet, lentement, en mouvement. Le gouvernement Tsipras est devenu un écho du gouvernement Samaras de 2014. Sous la pression de la Troïka (maintenant le Quadrige, avec l’arrivée du Fonds de Stabilité Européen dans le groupe de supervision du pays) et de l’Allemagne, Syriza et Anel, comme hier la ND et le PASOK, implémentent avec une mauvaise volonté de nouveaux plans d’austérité. Mais, devenu un « PASOK à la rhétorique enflammée », Syriza n’a pas de dents pour mordre et fait voter les mesures du Mémorandum au Parlement. Comme pour revivre une période étrangement familière, alors que l’hiver est venu et que les grecs peinent à pouvoir se payer le chauffage et les médicaments, Tsipras ne dispose plus que de 3 voix de majorité à la Vouli, tandis que dans les rues d’Athènes les citoyens ont recommencés à manifester et tous les indicateurs pointent vers un effritement des intentions de vote du parti.
Nous ne sommes pas exactement revenus en 2014 cependant. D’abord parce qu’existait à l’époque un grand parti d’opposition qui pouvait raisonnablement se présenter comme une alternative. Les grecs croyaient qu’une autre politique était possible. Ce n’est plus le cas : après l’écrasement de la Grèce dans les négociations par les autres pays européens et le volte-face de Tsipras qui a suivi le référendum, seuls 10% des Grecs pensent qu’une alternative aux Mémorandums est envisageable.
L’opposition, aujourd’hui, c’est Nouvelle Démocratie – autrement dit, le parti de l’establishment, dont il n y a pas grand chose d’autre à attendre que la poursuite des politiques de Syriza. Au fur et à mesure que le pays se réveille, cependant, rien ne garantit la survie de ce bipartisme. Lentement, l’opposition dégèle et ses acteurs se mettent en place. La ND a changé de chef : Swaggelis Vangelis Meimarakis a été défait par Kyriakos Mitsotakis, représentant de l’aile très libérale du parti. Potami, ayant déjà souffert de son très mauvais score en septembre 2015, continue à s’évaporer et pourrait ne pas obtenir de siège dans le prochain parlement. L’Union des centristes stagne et a été apparemment approchée par Syriza pour rallier la coalition. L’Unité Populaire espère obtenir 3% aux prochaines élections, et c’est à peu près tout. Les deux seuls partis à progresser dans les sondages sont les deux seuls à avoir maintenu la même ligne tout au long des 5 années de crise : le KKE et Aube dorée.
J’aurais du mal à vous parler du KKE, d’abord parce qu’il ressemble beaucoup à un caillou : une fois qu’on l’a décrit, il n y a plus grand chose à en dire puisqu’il ne bouge pas, à tout le moins pas de son fait. Le Secrétaire Général s’indigne contre les « politiques barbares anti-populaires de la bourgeoisie capitaliste », les militants manifestent, et ça s’arrête là.
Il y a en revanche pas mal de choses à dire sur Aube dorée, et je me suis dit qu’un petit post informatif serait intéressant, d’autant plus qu’on est le 30 janvier. Que se passe t-il le 30 janvier ? C’est le jour-anniversaire de l’ « incident d’Imia », que commémorent les nazis à grand renfort de communication. En 1996, la Grèce et la Turquie entamaient une escalade militaire autour de deux petites îles de la mer Égée. Au cours de cette confrontation, un hélicoptère grec était abattu par l’armée turque, entraînant la mort de son équipage. Dès l’année suivante, Aube dorée lançait en grande pompe une cérémonie pour honorer les morts. En 1996, bien sûr, leurs rangs étaient encore clairsemés : ce n’était qu’une petite secte nationale-socialiste dont les rassemblement comportaient autant de militants que de policiers venus les surveiller. Si vos oreilles peuvent supporter la voix hurlante de Michaloliakos, voilà à quoi ça ressemblait alors :
La cérémonie est depuis lors devenu un évènement important de la vie du parti -il est, si je ne me trompe pas, le grand évènement public annuel avec le rassemblement aux Thermopyles, et à peu près du même ordre que certaines cérémonies secrètes internes au mouvement, comme les rituels occultes des nuits de solstice. Voilà ce que donnait le rassemblement en 2015 :
Déjà, il faut admettre que l’édition de la vidéo est franchement bien fait – et si quelqu’un connaît la musique en fond, je suis preneur. Il y a aussi un paquet de monde. Si vous prêtez attention, vous remarquerez qu’à la liste des officiers morts qu’ils « invitaient » en 1997, ils ont depuis rajoutés des noms – les deux derniers étant des membres de l’Aube dorée abattus par des anarchistes en 2013.
La principale question que je me pose est de savoir quelle sera l’affluence à la cérémonie de ce soir – si celle si à lieu, car le gouvernement Syriza l’a, ce matin, interdite, soit-disant pour des motifs de sécurité (ce qui n’est pas complètement invraisemblable, vu que les anarchistes s’illustrent régulièrement dans des assauts contre tout et n’importe quoi sans véritables représailles de la police depuis la victoire de Syriza).
C’est qu’Aube dorée fait face au même problème que tous les autres partis politiques grecs depuis la mi-2015 : le désintérêt populaire. Ce qui est assez embêtant pour tout parti politique, mais plus encore pour toute organisation à vocation totalitaire qui ne conçoit son fonctionnement qu’à travers l’implication des masses. L’action sans relâche de l’Aube dorée pour organiser des distributions de nourriture ou des « écoles patriotiques » n’a pas qu’un but électoral : leur objectif est d’édifier une contre-société nazie qui s’infiltrera dans toutes les fissures de la vie quotidienne et prendra finalement le pouvoir, par les urnes, ou, plus probablement selon eux, par les armes. En cela, l’Aube dorée telle qu’elle est aujourd’hui est plus proche de la première itération du NSDAP, celle d’avant l’arrestation de Hitler, plus militariste et révolutionnaire que son successeur.
La politique des masses, contrairement à la France ou à l’Allemagne du début du XXème siècle, n’a jamais réellement eu cours en Grèce. On trouve certes des exemples de forte implication de la population, comme l’époque d’Eleftherios Venizélos (mi-19ème / début 20ème), mais toutes les tentatives de créer un parti de masse ont échouées, qu’il s’agisse des communistes ou de la dictature aux velléités fascisantes de Metaxàs. En 2013, Aube dorée semblait y parvenir, rassemblant des foules considérables à ses meetings et faisant fonctionner un réseau complexe d’organisations, de charités, de milices à travers le pays. Aujourd’hui, le parti est à la peine. Quelles en sont les raisons ? Il y a bien sûr eu la victoire de Syriza puis le revirement de Tsipras à la mi-2015 qui ont découragés beaucoup de monde. Mais la véritable source, c’est le meurtre de Pavlos Fyssas et le procès qui s’en est ensuivi.
Il est clair que l’assassinat de Fyssas eut de profondes répercussions sur le parti : les manifestations antifascistes qui s’ensuivirent furent exceptionnellement massives, les arrestations menées par le gouvernement coupèrent le mouvement de sa direction et tout cela contribua à faire fuir beaucoup de ses militants – et jusqu’à deux députés. Le parti tint bon, mais s’effaça significativement. Il perdit son financement parlementaire, dût fermer des locaux, diminuer ses distributions de nourriture. Sous surveillance policière, il dût ranger un temps ses barres de fer. Sous l’opprobre populaire, il cessa d’être « in » – les journaux cessèrent d’écrire sur ces « jeunes gens en noir qui ravivent les vieilles traditions », et les lycéens qui trouvaient depuis deux ans les croix gammées incroyablement cool prirent leurs distances. Le meilleur indicateur fut la diminution considérable et fort subite du nombre d’attaques racistes.
Bien sûr, le parti a tenté de se relever. Ses principaux dirigeants sortis de prison, il a recommencé à opérer comme il le pouvait, et la vidéo-trailer pour Imia 2016 que je vous ai montré plus haut est un exemple de ses tentatives de remobilisation. Mais c’est une mobilisation qui n’est plus tout à fait la même : dans la Grèce de 2013, déboussolée et pleine de colère, les délires occultes, racialistes et militaristes des nazis exerçaient une sorte de curieuse influence sur au moins une partie de la population, qui refusait de se dire qu’elle côtoyait des génocidaires en puissance. Les tendances psychopathiques des dirigeants de l’organisation étant depuis lors bien connu, la méfiance s’est emparée des gens et, si l’on excepte ses militants, il est devenu bien plus difficile de trouver un supporter de l’Aube dorée défendant ses positions en public.
Ce changement n’est pas qu’une affaire d’ampleur : elle concerne aussi le fond des propos tenus par l’Aube dorée, et les actions même qu’elle entreprend. D’une part, il lui faut rassurer une population qui n’a pas franchement envie de se faire fusiller dans un camp ; de l’autre, ses leaders, et surtout son Führer, cherchent désespérément à éviter la prison. Car le procès avance, et il devient clair, à mesure que le temps passe, que Michaloliakos et probablement quelques autres ne pourront éviter de finir derrière les barreaux, probablement pour le reste de leur vie. Alors le loup cherche à se faire agneau et à montrer qu’il n’est pas un nazi : ils évitent de dire du bien de Hitler en public, ils changent la couleur de leur drapeau. Les « grandes bannières rouges et noir » se font bleu et or, où sont remplacées par un drapeau grec datant de la monarchie ou de la junte. Les milices se font discrètes et évitent les attaques armées. Le parti ne vante plus ouvertement le national-socialisme, et ne se livre plus à ses provocations triomphalistes, comme ce fameux meeting de 2013 où Michaloliakos avait fait jouer en plein cœur d’Athènes l’hymne du NSDAP.
Assiste t-on à un changement du parti ? La chose s’est déjà vue, notamment en Italie : le Mouvement Social Italien, parti fasciste créé dans l’après-guerre pour revendiquer l’héritage de Mussolini resta longtemps une organisation d’extrême-droite radicale stagnant autour de 5%. Puis, sous la houlette de Gianfranco Fini dans les années 80 et 90, le parti se modéra dans l’espoir d’attirer plus d’électeurs. Transformé en Alliance Nationale, puis fusionné avec le parti de Berlusconi, le mouvement ne cessa de se centriser jusqu’à devenir un petit parti de centre-droit reprochant à Berlusconi que sa politique d’immigration fut trop rigide !
Aube dorée pourrait-elle suivre le même chemin, ou du moins abandonner ses milices meurtrières et ses rêves de purification ethnique ? Cela me semble aujourd’hui impossible, et je pense les quelques changements listés plus haut purement cosmétiques, mais cette transformation serait envisageable selon l’issue du procès. J’y vois deux gros obstacles :
– La structure même du parti. Pour qu’un parti change de ligne politique, il doit soit subir une forte pression extérieure (un électorat qui le déserte ou qui l’attend s’il fait une inflexion de son programme), soit être infiltré par des militants qui remodèleront fatalement le parti au jour le jour et au cours de ses élections internes. La pression extérieure me semble en fait, procès mis à part, limitée : les grecs ne veulent pas voter pour des nazis, mais la situation est tellement catastrophique (et risque d’ailleurs d’empirer si l’UE transforme la Grèce en un vaste camp de migrants à ciel ouvert) que le plus fêlé des politiciens peut rassembler des électeurs (c’est ce qui a amené l’Aube dorée, justement, là où elle en est). La pénétration du parti par des grecs plus lambdas et désorientés me semble elle aussi hautement improbable : on n’entre pas comme ça dans une secte paramilitaire. En dépit de ses divers réseaux et de ses actions de terrain en tout sens, Aube dorée comporte finalement assez peu de militants : environ 3000 personnes en 2013. C’est que le parti comporte plusieurs « niveaux » et fait travailler pour lui des gens qui ne sont ni nazis ni adhérents. Ainsi, il est fréquent que l’Aube dorée exige de quelqu’un que, en échange de se voir distribué de la nourriture, la personne revête un uniforme, assiste aux meetings, participe à la logistique voir prenne part aux raids contre des migrants ou des militants d’autres partis. Ce fonctionnement fournit au parti une main d’œuvre qui n’a pas d’influence sur la prise de décision à l’intérieur de la structure. Entrer dans le parti même ne peut se faire que par cooptation d’au moins deux membres. Il faut ensuite faire un « speech de motivation », enregistré en vidéo au cas où, où l’aspirant-nazi doit rendre compte de son attachement au national-socialisme, à la Grèce et au Guide, après quoi la décision revient aux dirigeants du parti – qui peuvent refuser des candidats et ne s’en privent pas. Ce n’est pas là-dedans que l’on peut pratiquer de l’entrisme. Bien sûr, tout cela pourrait être modifié par les chefs du parti qui assoupliraient les règles d’adhésion, mais les dirigeants constituent le deuxième obstacle.
– Car toute secte a son gourou, et le Führer de l’Aube dorée n’en est pas des moindres. Le Guide, puisque c’est ainsi que tout le monde l’appelle dans le parti, détient évidemment un pouvoir absolu et est entouré d’un puissant culte de la personnalité. A en croire le rapport du tribunal concernant l’Aube dorée, Michaloliakos apparaît aux simples membres comme une entité supérieure quasiment métaphysique, choisi par le Destin pour diriger le pays.
L’entité supérieure embrassée par sa femme.
Les documents internes à l’Aube dorée décrivent leur Guide en ces termes :
Nous espérons rendre un jour l’État Grec aussi efficace que l’Aube Dorée, où la volonté du Guide est imposée et implémentée immédiatement sans exceptions et hésitations.
Le Guide prend dans notre idéologie une dimension métaphysique. Nous définissons comme dimension métaphysique la foi inébranlable de chaque Aubedorien que notre Guide est l’Homme qui mènera notre idéologie à la Victoire Finale contre les forces des ténèbres qui travaillent à la mort de l’Héllénisme, et qui amènera notre pays entier vers la création de la Troisième Civilisation Hellénique dont nous rêvons tous. Il est l’homme, l’Ascendant, qui nettoiera de sa présence tout ce qui est pourri et tourmente la nation Grecque.
Bref, il est au centre de l’organisation, et on peut raisonnablement supposer qu’un fanatique ayant mis tant d’efforts à se faire vénérer et convaincu depuis quarante ans des idéologies les plus extrêmes ne soit pas enchanté par la perspective de finir comme partenaire modéré de Nouvelle Démocratie. Il en va de même pour une grande part des autres principaux dirigeants du parti – au hasard, Ilias Panagiotaros ou Christos Pappas, qui sont ses affidés depuis les années 80 et qui eux aussi se rendent annuellement en pèlerinage sur la tombe de Mussolini, et partent, les soirs de solstice venu, au fond des bois brandir des drapeaux de la SS devant de grands brasiers. Tant que ces gens seront là – des nazis fanatiques impliqués dans des réseaux mafieux et ayant tous, directement ou non, du sang sur les mains -, l’Aube dorée demeurera une secte de la plus extrême-droite.
Sauf que ce sont ces mêmes dirigeants qui sont les plus susceptibles de finir en prison. L’on serait bien en peine de deviner la suite du procès – il durera encore au moins un an, ce qui laisse le temps à n’importe quoi d’arriver – mais s’il arrive à son terme, Michaloliakos au moins finira au fond d’une cellule. Le parti ne pourrait avoir d’autre choix que de se réorganiser : comment se passer d’une figure si centrale que celle qu’ils vénèrent quotidiennement ? Le vide laissé au sommet du parti pourrait bien être l’occasion pour une nouvelle équipe de se saisir des rennes et, comme les néo-fascistes italiens, de mettre les vieilles idéologies de côté pour tenter d’attirer des électeurs.
Cela étant, le procès n’est pas la seule menace pour Michaloliakos : depuis l’entrée de l’Aube dorée au Parlement, les n°2 du parti grondent. Le Guide, évidemment, fait ce qu’il veut, et a souvent laissé de côté des vieux militants pour leur préférer des randoms comme candidats à la députation. Le parti, trouvent-ils, stagnent électoralement : 6,9% en 2012, 7% en 2015, alors que les grecs meurent de faim et que des dizaines de milliers de migrants parcourent le pays, voilà quelque chose qu’ils ne comprennent pas. Enfin, les tentatives de dissimuler l’idéologie du mouvement en irritent beaucoup. Michaloliakos est accusé de vouloir sauver sa peau en se rendant acceptable par le système.
Face à cette grogne, l’Archigos (le « Guide » en grec) a préféré éviter la question et délayé, encore et encore, le « Conseil » du parti, censé en élire son chef et prendre les décisions les plus importantes. Sous pression, il a fini par accepter de le réaliser à la fin mars de cette année. Difficile de dire ce qu’il se passe à l’intérieur du parti et de connaître les rapports de force d’une organisation si sectaire et secrète, on peut cependant noter que l’affrontement entre Michaloliakos et ses subordonnés a fait écho jusqu’au dehors du mouvement et fut évoqué dans les propos du chef suprême lui-même, qui dénonçait à l’occasion une « cinquième colonne ».
Qui sont et que veulent les opposants ? Je l’ignore. En revanche, s’ils ont un candidat pour remplacer Michaloliakos, tout indique qu’il s’agira d’Ilias Kasidiaris – porte-parole du Parti et neveu du Guide.
Crâne rasé, une swatiska tatouée sur l’épaule gauche, se retenant difficilement de taper sur les gens et aussi extrémiste que son oncle, Kasidiaris est toutefois plus populaire que lui auprès de l’opinion publique. Je ne le vois pas en tout cas mener une modération du parti, plutôt, au contraire, le ramener vers son activisme haineux et violent, les croix gammées fièrement arborées.