« La Grèce, après de grands sacrifices, s’apprête à quitter la crise. »
- Antonis Samaras, Premier Ministre de la Grèce et Président de Nouvelle Démocratie, 2014
La coalition au pouvoir
« Nous n’avons qu’un Plan A. L’acceptation et l’implémentation complète du plan existant, ledit Plan A, est la meilleure solution pour la Grèce, la zone euro, les détenteurs de la dette. »
- Evangelos Venizelos, Vice-Premier Ministre de Grèce et Premier Secrétaire du Parti socialiste
Entre la chute de la junte militaire et 2010, seuls deux partis ont exercés le pouvoir : le Mouvement socialiste panhellénique (PASOK, l’équivalent du Parti Socialiste) et Nouvelle Démocratie (ND, l’équivalent de l’UMP). En 2010, une grande coalition fut formée entre les deux principaux partis, à laquelle s’ajouta la formation d’extrême-droite LAOS. À la suite des élections de 2012, la coalition fut maintenue, sans le LAOS, mais avec le parti de centre-gauche Dimar, qui la quitta à son tour en 2013.
Le PASOK est un parti mort-vivant : rapidement converti au social-libéralisme dans les années 80, il avait remporté un écrasant 44% des voix en 2009. Tenu pour responsable de la crise et de l’austérité, il tombait à 12,28% aux élections de 2012, 8% aux élections européennes de 2014, et les sondages récents indiquent qu’il pourrait être passé sous la barre des 3% – c’est à dire, ne plus avoir assez de voix pour être élu au Parlement et disparaître de la scène politique. L’essentiel de son électorat se trouve désormais chez les retraités : 16% d’entre eux ont voté pour le PASOK aux élections européennes, contre 5% pour le reste de la population[23].
Il conserve encore, pour maximum 2 ans, une importance stratégique : sans le soutien de ses députés, le gouvernement n’aurait plus de majorité et s’effondrerait. Jusqu’aux élections européennes, la stratégie du PASOK était d’essayer de se distancer des plans d’austérité proposés par la droite, tout en les votant au Parlement, et de dénoncer les prises de position de Nouvelle Démocratie sur les questions d’immigration. Ses faibles performances dans les sondages face à une droite donnée entre 25 et 28% le bloquaient dans un rôle de second plan – il aurait eu beaucoup plus à perdre d’une élection anticipée que son partenaire de droite. Avec la perte pour Nouvelle Démocratie de presque 8% des voix en mai 2014 par rapport à juin 2012, il est devenu clair qu’en cas de nouvelle élection législative, la droite ne pourrait se passer d’une alliance, ce qui a renforcé la position du PASOK dans la coalition.
Mais même pour les 2 ans à venir, la survie du PASOK est douteuse. Le parti est déchiré entre les fidèles de Papandréou – Premier Ministre en 2010 et renvoyé par une rébellion du parti, conduisant aux élections de 2012 – et ceux de Venizélos, l’actuel dirigeant, trop heureux d’avoir pu renverser son prédécesseur il y a deux ans. Papandréou lui-même a voté contre le dernier plan d’austérité, mais, fait exceptionnel pour ce genre d’action, n’a pas été expulsé du parti. Chacun des deux camps manœuvre de son côté avec l’ambition de reformer un nouveau parti, débarrassé, espèrent t’-ils, de la détestation qu’inspire le PASOK à l’essentiel de la population. Une scission dans le mouvement n’est donc pas à exclure.
Le LAOS (Mouvement populaire Orthodoxe) était une sécession des membres les plus à droite de Nouvelle Démocratie. Inspiré par le Front National de Jean-Marie Le Pen, le parti, nationaliste-libéral et très proche de l’Église Orthodoxe, passait encore en 2010 et 2011 pour le grand gagnant de la crise : parti de 5% des voix en 2009, il atteignait les 10% dans les sondages en 2011. Les vives diatribes antisémites de ses membres en avaient un temps fait un parti isolé du reste de la droite, dont les succès modérés suscitaient l’émoi des journaux conservateurs. Puis, après la chute de Papandréou, il décida de participer au gouvernement d’ « unité nationale » et en fut félicité par la coalition, puis sanctionné par les électeurs. Il a désormais disparu du Parlement et ses membres éminents ont rejoint Nouvelle Démocratie. Aux élections européennes, le parti, oublié de presque tout le monde, parvint tout de même à réunir 2,69% – moins que les 7,14% de 2009, mais presque assez pour obtenir un député. Depuis lors, Karatzaferis tente d’appeler à une union de toutes les droites contre la menace rouge, assurant qu’il est prêt à travailler à nouveau avec la coalition pour éviter la victoire de Syriza. Les dirigeants de Nouvelle Démocratie n’ont pas pris la peine de répondre à ces propositions, mais l’érosion de leur base électorale rend une telle coopération tout à fait concevable. Encore faudrait-il que ce qui reste du LAOS ait quelque chose à leur apporter.
Dimar (Gauche démocratique) était une sécession de la droite de Syriza, qui fut rejoint par une partie de la gauche du PASOK. Ils obtinrent un score honnête pour un nouveau parti aux élections de 2012 – plus de 6% des voix -, en se revendiquant d’une social-démocratie sans l’austérité. Mais ils participèrent eux aussi au gouvernement de coalition, votèrent les textes demandés par la Troïka, et chutèrent en conséquence dans les sondages. Disposant de 14 députés – de quoi assurer une majorité confortable au gouvernement -, le parti entendait néanmoins jouer un rôle significatif dans la définition de la politique menée.
L’année passée dans la coalition fut loin de satisfaire leurs vœux. Nouvelle Démocratie, et le Premier Ministre Samaras en particulier, menait la politique qui lui plaisait avec peu de considération pour ses alliés. Un premier accrochage eut lieu sur la proposition conjointe d’une loi anti-raciste par le PASOK et par Dimar en juin 2013, refusée par la droite. Aux récriminations de Dimar qui lui reprochait un comportement trop autoritaire, Antonis Samaras répliqua par une décision unilatérale et soudaine : la fermeture de ERT, la télévision publique grecque. Après quelques jours de débats, Dimar décida de quitter le gouvernement et d’adopter une position d’autonomie réaliste, critique et pragmatique, opposée à l’austérité de la coalition et au radicalisme de Syriza .
L’autonomie ne fit pas recette : les électeurs gratifièrent Dimar d’un faible 1,2% aux élections européennes, et, selon les sondages, n’envisagent pas d’être plus cléments pour les prochaines élections législatives. La direction du parti doit depuis faire face à une importante fronde de ses élus – 4 de ses députés ont déjà quitté ses rangs, et d’autres menacent de faire de même, invoquant la nécessité de s’allier, soit avec Syriza, soit avec la coalition. Récemment, le bureau politique de Dimar a fait le choix de proposer une alliance à Syriza. Comme le LAOS pour Nouvelle Démocratie, il n’est pas certain que Dimar ait un poids suffisant pour négocier autre chose qu’un ralliement inconditionnel, puisqu’ils n’obtiendront probablement aucun député au Parlement lors des prochaines législatives. En revanche, contrairement au LAOS, Dimar dispose encore d’une dizaine d’élus, qui pourraient contribuer à la chute – ou au maintien – du gouvernement en place.
Antonis Samaras, Gauleiter de Grèce à temps plein et Premier Ministre à ses heures perdues
Evangelos Venizelos, poids lourd du PASOK
Georgios Karatzaferis, Président du LAOS, Méchant en Chef d’extrême-droite jusqu’en 2010, Partenaire Responsable jusqu’en 2012, Oublié de Tous depuis lors.
Fotis Kouvelis, Président de L’Amicale des Ex-Députés de Centre-Gauche (anciennement Dimar)
Nouvelle Démocratie, le principal parti de la coalition est le seul des partis gouvernementaux qui semble encore avoir un avenir, aussi maigre soit-il. Dans les années 70, le parti était un mouvement conservateur et étatiste, responsable de nombreuses nationalisations et mesures sociales. Mais, en tant que parti hégémonique à droite, il regroupa en son sein de nombreuses tendances – les libéraux qui eurent la haute main des années 80 à nos jours, et des membres la droite nationaliste. Il est aujourd’hui dirigé par Antonis Samaras, le Premier Ministre de la Grèce.
Samaras est un nom connu de longue date dans la droite dure grecque. Issu d’une famille bourgeoise, loin d’être un simple énième apparatchik de droite libérale, il est un membre historique de Réseau 21, réseau nationaliste ayant historiquement disputé le parti aux libéraux. C’est lui qui, en tant que ministre des Affaires étrangères, était à l’origine de la querelle sur le nom de la macédoine. À la suite de cet évènement, il quitta Nouvelle Démocratie pour fonder son propre parti nationaliste, puis retourna dans la ND après l’échec de celui-ci, et attendit patiemment son heure pour prendre le contrôle du parti en 2009 à la suite de la défaite face aux socialistes. Depuis, il tient fermement l’organisation en main, expulsant ses opposants et les députés bravant les consignes de vote au Parlement – jusqu’à 21 d’entre eux en 2012.
Il est clair que la politique menée par le gouvernement Samaras est nettement plus à droite et autoritaire que celle de ses prédécesseurs, un point plusieurs fois critiqué par les représentants de la faction libérale. Entre 2010 et 2012, Samaras parlait ainsi de « reprendre les centres-villes aux immigrés » et qualifiait le PASOK de « traîtres ayant vendu le pays à des puissances étrangères ». Son gouvernement de coalition incluait – et inclus toujours – deux ministres transfuges venus du LAOS, ses conseillers proches proviennent essentiellement de Réseau 21. L’un d’entre eux affirmait avec satisfaction en 2012 que « Maintenant que Samaras dirige la ND, le LAOS n’a plus de raison d’exister », un autre défendait en 2014 que la gauche grecque fût un des fléaux du pays depuis 1942[24] (l’année où celle-ci pris les armes contre l’occupant allemand). Joignant les actes aux paroles, le gouvernement grec a donc augmenté d’un cran le degré de répression contre l’opposition. La brutalité policière est connue depuis le début de l’austérité, mais à celle-ci est venue s’ajouter des cas de fermeture de sites internet, de procès, d’exclusion médiatique, de profilages des potentiels manifestants[25] et même de tortures couvertes par le Ministère de l’Intérieur. On notera sur ce dernier point que les affaires de torture n’avaient pas été rapportées par les médias grecs, mais bien par le Guardian[26]. Il faut dire que les principaux médias sont possédés par des patrons de presse dont les liens avec le gouvernement et les pratiques ont été dénoncés[27] – notamment le renvoi de journalistes critiques du mémorandum, ou évoquant les violences policières – et que la coalition en place a tout particulièrement à cœur de contrôler les informations émises par les médias[28]. D’autres cas illustrent les pratiques violentes de la police grecque – par exemple, les cas de touristes confondus pour des immigrants et dûment frappés par les forces de l’ordre[29].
En matière économique, si Antonis Samaras avait fait campagne en 2012 sur le rejet du Mémorandum, il s’y rallia dès son accession au pouvoir. Depuis lors, son gouvernement est le plus fervent défenseur de la nécessité de l’austérité et des « réformes ». Néanmoins, il n’en pratique pas moins une obstruction cachée : chaque pack de mesures exigées par la Troïka est suivi, peu après son vote, de quelques séries d’amendements qui remettent parfois amplement en cause l’efficacité du texte. Conscient que Nouvelle Démocratie s’aliènerait jusqu’à son cœur de cible électoral si le gouvernement appliquait l’ensemble du programme d’ajustement structurel, Antonis Samaras tente de concilier les deux : plaire à la Troïka, et annuler discrètement les mesures politiquement dangereuses. Si jusqu’ici la droite a pu conserver un certain niveau de soutien parmi les retraités ou les agriculteurs, ses relations avec la Troïka se sont progressivement détériorées.
Malgré, ou en raison de tout cela, Nouvelle Démocratie et Samaras demeurent relativement haut dans les sondages, avec entre 25 et 30% des intentions de vote annoncées pour les prochaines législatives. C’est un résultat faible pour un parti de gouvernement habitué à des scores de 40%, et les études électorales montrent que le dernier carré de ses électeurs se trouve chez les retraités. Comme le PASOK, ND bénéficie de l’inertie électorale, les personnes âgées ayant tendance à continuer à voter pour les mêmes partis que lorsqu’ils étaient plus jeunes. Mais même cela change : aux élections de juin 2012, plus de la moitié des retraités avaient voté pour Samaras. On n’en dénombrait plus que 40% aux élections européennes, et il est généralement admis que les prochaines taxes à entrer en vigueur, notamment la taxe ENFIA sur la propriété immobilière, vont lourdement grever le niveau de vie des retraités. Or, dans toutes les autres tranches d’âges, le gouvernement est déjà dépassé par la principale opposition : Syriza.
Notes de bas de page et références
[23] Tous les chiffres relatifs aux élections européennes proviennent du sondage post-électoral du 2 juin 2014 mené par Public Issue et disponible ici : http://www.mavris.gr/4110/aktinografia-tis-psifou/
[24] « Cabinet secretary admits being an « anticommunist » since the cradle », Enetenglish.gr, 21 mars 2014, http://www.enetenglish.gr/?i=news.en.article&id=1822
[25] « Greece : Police interrogation of students prompts protests », Christos Syllas, Indexoncensorship.org, 24 février 2014, http://www.indexoncensorship.org/2014/02/student-profiling-crisis-stricken-greece/
[26] “Greek anti-fascist protesters “tortured by police” “ after Golden Dawn clash, The Guardian, 9 octobre 2012, http://www.theguardian.com/world/2012/oct/09/greek-antifascist-protesters-torture-police ; “Greek police accused over racism and asylum rights”, BBC.com , 24 octobre 2012, http://www.bbc.com/news/world-20068145
[27] « Free speech takes a beating in Greece », Christos Syllas, Indexoncensorship.org, 25 mars 2013, http://www.indexoncensorship.org/2013/03/free-speech-takes-a-beating-in-greece/
[28] « Government interfered to remove « austerity » from reports on Merkel’s Athens visit, say journalist », Enetenglish.gr, 16 avril 2014, http://www.enetenglish.gr/?i=news.en.home&id=1859
[29] « Greek police beat up another « illegal immigrant » who’s actually a tourist », Max Fisher, The Washington Post, 10 janvier 2013, http://www.washingtonpost.com/blogs/worldviews/wp/2013/01/10/greek-police-beat-up-another-illegal-immigrant-whos-actually-a-tourist/